Annoncer une maladie chronique en entreprise

Patricia Ardillier, Directrice de TH Conseil et du pôle « Inclusion, Équité, Singularité » de SEMAPHORES, psychothérapeute et fondatrice du programme « Inclusion des personnes atteintes de pathologies chroniques » porté par Humaninnov pour le ministère de la santé, répond à TH Conseil, pour nous partager son expérience de l’annonce en entreprise d’une maladie chronique telle que le cancer.

L’évolution des cas de maladies chroniques

TH Conseil : Patricia, pouvez-vous expliquer l’évolution du nombre de cas de cancers et de maladies chroniques au sein des organisations ?

PA : Les personnes vivent de plus en plus longtemps avec un cancer et en guérissent de plus en plus. Grâce à l’évolution des traitements, on parle aujourd’hui de maladie chronique.

TH Conseil : Comment l’arrivée d’une maladie chronique telle que le cancer s’apparente-t-elle à un plan de gestion de crises dans la vie de l’entreprise et de la personne qui en souffre ?

PA : À mon sens, on ne peut pas parler exactement de crise, mais cela s’apparente plutôt à la gestion de la santé en entreprise, qui touche la gestion des absences : comment sont annoncées les absences, à qui et comment sont-elles accompagnées ?

Ce que propose TH Conseil pour la gestion de ces singularités

TH Conseil : les équipes TH conseil ont-elles leurs propres ressources pour gérer les cas individuels de porteurs de pathologies chroniques ?

PA : Oui, nous avons notamment des coachs en insertion professionnelle et des experts en gestion de la maladie et du handicap, qui accompagnent les personnes touchées à la reprise d’activité professionnelle.

Retours d’expérience et axes de développements envisageables

TH Conseil : De votre expérience de psychothérapeute d’accompagnement de personnes porteuses de pathologies chroniques en entreprise, comment les employés perçoivent-ils le fait qu’un manager soit fragilisé par la maladie ?

PA : Peu de collaborateurs osent parler directement à leur manager pour partager leurs inquiétudes lors d’absences prolongées. Et c’est indéniable car la maladie chronique concerne directement 15 % de la population active (rapport IGAS de juin 2013 n°2013-069R).

TH Conseil : quel soutien pensez-vous qu’il faille développer pour aider la personne porteuse de pathologie chronique telle que le cancer pendant cette période difficile ?

PA : Au sein de l’entreprise, il est toujours important que les personnes concernées par un cancer ou une maladie chronique grave trouvent quelqu’un à qui se confier. Le manque principal est très souvent de trouver des personnes qui vivent des situations similaires. Continuer à travailler en suivant un traitement est très difficile. Tous les maillons de la chaîne doivent être solidaires.

TH Conseil : Où placer le curseur entre respect de la sphère privée et volonté de maintenir le lien ?

PA : Il est important d’aborder la confidentialité au moment de l’annonce de la maladie. C’est au collaborateur de décider quelles informations et à qui elles doivent être transmises. Puis, la question de la fréquence arrive. L’idée étant d’éviter les rumeurs…

TH Conseil : Lorsqu’un manager est concerné, l’entreprise attend de lui qu’il soit fort… Pensez-vous que le manager doit hésiter à parler de sa pathologie chronique telle que le cancer ?

PA : Lorsque j’accompagne des personnes atteintes de cancer en entreprise, je ne peux que les encourager à en parler. L’inconnu engendre beaucoup de questions et souvent on s’imagine des situations bien pires que la réalité. La transparence permet de montrer les qualités et les faiblesses du manager. Reconnaître que l’on peut être faillible est une force !

Les bonnes pratiques à adopter au quotidien

TH Actu : Peu de questions sont posées aux malades sur leur vie privée, l’organisation de la famille, etc. Quelles sont les bonnes pratiques ?

PA : Il ne faut pas être intrusif et respecter ce que la personne choisit de dire ou de partager. Pour autant, il faut néanmoins être conscient qu’une pathologie chronique telle que le cancer, a un impact sur toute la sphère familiale et sociale. Il faut aussi s’en soucier. Les choses les plus simples sont essentielles, comme demander à la personne si elle est d’accord de discuter de sa situation. Si oui, alors, vous pouvez poser quelques questions simples comme « De quoi auriez-vous besoin ? », « Qui vous aide ? », « Comment pourrions-nous vous aider ? ».

TH Conseil : Comment réellement libérer la parole ? Avez-vous créé des espaces de discussions ? Pensez-vous qu’il faille faire appel à un coach en insertion, un psychologue ?

PA : Parfois, les équipes sont petites et les choses se font de manière très naturelle. Mais, l’annonce d’une maladie chronique telle que le cancer qui touche un manager, cela génère des questions d’ordre organisationnel. De la part des équipes, mais aussi parfois d’un point de vue privé, comme quand et comment contacter la personne. Il est toujours utile d’avoir le support d’un coach ou d’un psychologue du travail pour s’assurer la sérénité de tous par rapport à cette nouvelle situation.

Anticiper et prévenir la desertion professionnelle

TH Conseil : Au vu de l’incertitude quant au taux de travail d’un employé malade et la durée de la situation, comment gérer son remplacement (temporaire, fixe, taux réduit) pour maintenir les opérations de l’entreprise ?

PA : Il est important d’avoir une connaissance précise des compétences de l’équipe de travail du collaborateur concerné par la maladie chronique. Cela permet d’évaluer les collaborateurs qui seraient susceptibles de partager son activité pendant une période donnée. Si un remplacement interne n’est pas possible, il est important de compter sur un réseau de partenaires qui puisse proposer des remplacements.

TH Conseil : Suite à un cancer, savez-vous si beaucoup de personnes démissionnent, décident de stopper ou changer d’orientation après un retour au travail ?

PA : En général, cette expérience remet en cause les perspectives professionnelles des personnes et leurs priorités. C’est pour cela que nos équipes chez TH Conseil préconisent toujours de développer un « coaching rebond » de retour à l’emploi. Ce retour peut aussi être l’occasion de faire un bilan de compétences.


Conférences : le cancer en entreprise
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Patricia ARDILLIER, diplômée de l’ESSEC et de l’École Centrale de Psychologie de Genève, a travaillé comme DRH au sein de grands groupes pendant plus de 15 ans pour promouvoir le « mieux vivre au travail ». Elle est fondatrice de Humaninnov  et est missionnée en 2019 par Agnès Buzyn, Ministre de la santé  sur le programme « Inclusion des personnes atteintes de pathologies chroniques en entreprise ». Après avoir exercé en centre médical et au sein d’associations pour accompagner la santé mentale des malades chroniques, elle a co-fondé des entreprises dans le secteur du Care Management. Patricia Ardillier a rejoint en janvier 2023 le GROUPE ALPHA, pour prendre la Direction de TH Conseil qui représente le pôle « Inclusion, Équité et Singularité » (IES) de SEMAPHORES.